Dernière modification de l’article le 5 septembre 2024 par Admin

sergueï bubka  face à un défi prêt à surmonter les obstacles avec curiosité et confiance

Vous avez déjà vu un élève se bloquer devant un problème, même quand il a toutes les connaissances nécessaires ? Vous vous demandez pourquoi ça arrive ? Ce n’est pas toujours une question de compétences ou de savoir. Souvent, l’élève se met des barrières lui-même, se convainquant que la solution est hors de sa portée. Mais le plus surprenant, c’est que ces limites ne viennent pas seulement de lui. Parfois, sans même s’en rendre compte, c’est nous, les enseignants, qui les plaçons.

 

Article et texte écrits par Jean-François MICHEL Auteur « Les 7 profils d’apprentissage » Éditions Eyrolles 2005, 2013 et 2019

 

Le 13 juillet 1985, au stade Jean-Bouin, un homme a défié les lois de la physique, de la logique, et même du bon sens commun. Sergueï Bubka, cet athlète soviétique, a franchi la barre des 6 mètres au saut à la perche. 

Ce n’était pas seulement un saut, c’était un bond dans l’inconnu, une violation flagrante des limites que les scientifiques avaient posées. Tout le monde pensait que c’était impossible. Sauf lui.

Lorsqu’on lui a demandé comment il avait fait, sa réponse a été presque naïve : « Ah bon ? Je ne savais pas… En Union soviétique, on n’a pas les nouvelles du monde capitaliste. » C’est ici que réside tout le secret : Bubka ne savait pas qu’il ne pouvait pas le faire. Alors il l’a fait.

Il y a une leçon puissante à tirer de cette histoire. Quand l’esprit n’est pas encombré par l’idée de l’impossible, tout devient possible. Bubka a réussi parce qu’il était ignorant des limites que les autres se mettaient en tête. De la même manière, les élèves peuvent accomplir des choses incroyables si on ne leur bourre pas le crâne de concepts comme « difficile » ou « compliqué ». Ces mots sont des poisons. Ils injectent la peur et le doute là où il n’y avait que curiosité et enthousiasme.

Imaginez un instant : un élève qui n’a jamais entendu dire qu’une tâche est ardue. Comment abordera-t-il ce défi ? Avec la fraîcheur et la liberté de celui qui ne connaît pas les chaînes mentales, de celui qui ignore l’idée même de l’échec. Et c’est là que la magie opère. Ce qu’on croyait impossible devient soudainement réalisable, simplement parce que personne n’a soufflé à cet élève que c’était supposé être impossible.

Les mots ont un pouvoir immense. Chaque mot prononcé devant un élève est une brique ajoutée ou retirée de son univers mental. Parfois, le simple fait de ne pas dire que quelque chose est difficile suffit à ouvrir un champ de possibles insoupçonnés. C’est dans cette ignorance bénie des limites que les véritables exploits se produisent.

Alors, pourquoi ne pas bannir ce mot « difficile » ? Pourquoi ne pas parler d’opportunités, de progrès, de découvertes ? Imaginez l’impact si, au lieu de pointer du doigt les obstacles, on montrait simplement la prochaine étape à franchir, sans évoquer la montagne à gravir.

Quand un élève demande si quelque chose est difficile, vous pouvez répondre avec un sourire « Je ne sais pas ! »  Et d’ajouter, tout aussi simplement : « Je pense que c’est largement faisable. » 

Voici quelques principes pour libérer les élèves des barrières mentales.

 

1.Éviter les mots limitants

Par exemple, le mot « difficile » est un vrai bouton rouge pour ériger instantanément des barrières mentales. Dès qu’un élève entend ce mot, son esprit commence à dresser une liste invisible de toutes les raisons pour lesquelles il pourrait échouer. 

C’est comme si une petite voix dans sa tête disait : « Attention, c’est compliqué, tu vas peut-être te tromper, tu risques de ne pas y arriver. » Cette simple étiquette de « difficile » peut transformer une tâche réalisable en un obstacle intimidant, surtout pour les profils « perfectionniste » et « dynamique » si vous connaissez les 7 profils d’apprentissage. 

Mais pourquoi ce mot a-t-il un tel pouvoir ? Parce qu’il s’attaque directement à la confiance en soi. Il fait appel à la peur de l’échec, qui est profondément enracinée en chacun de nous, surtout chez les élèves en pleine construction de leur identité. Quand on annonce à un élève qu’une tâche sera difficile, on lui envoie inconsciemment le message que l’échec est une option probable. On introduit dans son esprit l’idée qu’il pourrait ne pas être à la hauteur, qu’il pourrait rencontrer des difficultés insurmontables.

Pourtant, ce n’est pas la tâche en elle-même qui est souvent difficile, mais bien la perception qu’en a l’élève après avoir entendu ce mot. L’esprit humain est extraordinairement adaptable, mais il est aussi très suggestible. Lorsqu’on lui dit que quelque chose est « difficile », il se prépare automatiquement à un combat, à un effort considérable. Il devient plus prudent, moins spontané, ce qui peut freiner l’élan naturel de curiosité et d’exploration.

Alors, comment transformer cette dynamique ? En bannissant le mot « difficile » de votre vocabulaire en classe. Remplacez-le par des termes qui n’éveillent pas les mêmes peurs, mais qui encouragent au contraire l’élève à se lancer avec curiosité et détermination. Utilisez des mots comme « intéressant », « stimulant », ou « une belle opportunité ». Ces termes changent radicalement la manière dont l’élève perçoit la tâche qui l’attend. Ils déplacent l’attention de la difficulté vers l’exploration, de la crainte vers la découverte.

Lorsque vous présentez un problème comme « stimulant » plutôt que « difficile », vous invitez l’élève à voir la tâche comme un défi à relever, une chance de montrer ce dont il est capable, plutôt qu’une montagne à gravir. En parlant d’« opportunité », vous orientez son esprit vers ce qu’il peut apprendre ou gagner en s’attaquant à ce problème, plutôt que sur ce qu’il risque de perdre ou de ne pas réussir.

Ce changement de vocabulaire peut sembler subtil, mais il a un impact profond. Il redéfinit la relation de l’élève avec le défi qui se présente à lui. Plutôt que de se concentrer sur la possibilité d’échouer, il se concentre sur la possibilité de réussir, d’apprendre quelque chose de nouveau, de progresser. Il aborde la tâche avec une attitude positive, ouvert aux possibilités, et prêt à surmonter les obstacles avec une mentalité de croissance.

 

 

 

2.Encourager l’exploration libre

Dans une salle de classe traditionnelle, il est courant de voir l’enseignant fournir des instructions détaillées, expliquer pas à pas comment résoudre un problème, puis attendre des élèves qu’ils appliquent cette méthode pour arriver à la « bonne » réponse. Si cette approche peut être efficace pour transmettre des connaissances spécifiques, elle laisse peu de place à la créativité, à l’expérimentation, et à la découverte personnelle. Pourtant, c’est précisément dans ces moments d’exploration libre que l’apprentissage véritable et profond se produit.

Ne pas donner immédiatement la réponse ou la solution est une stratégie puissante pour développer l’autonomie et la résilience des élèves. En les laissant chercher, tâtonner, et parfois se tromper, vous les placez dans une situation où ils doivent mobiliser leurs ressources internes, faire appel à leur créativité, et prendre des initiatives. Cette approche peut sembler déstabilisante au début, surtout pour des élèves habitués à recevoir des réponses toutes faites. Cependant, c’est précisément cette déstabilisation qui est porteuse de progrès.

L’apprentissage par exploration libre permet aux élèves de comprendre que l’erreur n’est pas un échec, mais une étape essentielle du processus d’apprentissage. Quand ils se trompent, ils ne sont pas punis ou humiliés ; au contraire, ils sont encouragés à analyser ce qui n’a pas fonctionné, à en tirer des leçons, et à essayer une nouvelle approche. Ce processus de réflexion critique et de révision active renforce leur compréhension des concepts en profondeur, bien au-delà de la simple mémorisation.

De plus, en ne fournissant pas immédiatement la réponse, vous incitez les élèves à poser des questions, à discuter entre eux (donc autorisez les moments de brouhaha, de bruits …) , à collaborer pour trouver des solutions. Cette interaction entre camarades de classe est extrêmement enrichissante. Elle permet aux élèves de confronter leurs idées, de tester différentes hypothèses, et de développer des compétences sociales essentielles telles que l’écoute, l’argumentation, et le respect des opinions divergentes.

 

3.Valoriser le « Je ne sais pas » :

Dans un système éducatif où la connaissance est souvent perçue comme une certitude, admettre « Je ne sais pas » peut sembler inhabituel. Pourtant, cette simple phrase est une clé pour libérer les élèves des limites que l’on impose parfois involontairement. 

Lorsque vous répondez à un élève qui vous demande si quelque chose est difficile par un sincère « Je ne sais pas, essayons ensemble ! », vous effacez immédiatement la notion de limite. Vous ne lui dites pas que c’est facile ou difficile, possible ou impossible. Vous lui offrez un espace de découverte où tout est envisageable. Cette approche transforme la tâche en une aventure collective, où la notion de barrière disparaît. L’élève n’est plus seul face à un défi ; il est accompagné dans un voyage où la destination est incertaine, mais où chaque étape est une opportunité d’apprendre.

En valorisant le « Je ne sais pas », vous encouragez l’élève à aborder chaque tâche sans préjugé, sans idée préconçue sur ce qui est possible ou non. Vous lui montrez que l’apprentissage n’est pas un chemin balisé, mais un terrain à explorer, où l’inconnu est une richesse et non une limite. En réponse à « Est-ce que c’est difficile ? », dire « Je ne sais pas, voyons jusqu’où tu peux aller » ouvre une porte vers l’infini des possibles. Cela incite l’élève à se dépasser, non pas en fonction d’un standard externe, mais en suivant sa propre curiosité et son propre potentiel.

Cette approche libère également l’élève de la peur de l’échec. Quand il n’y a pas de limites prédéfinies, il n’y a pas d’échec à craindre, seulement des expériences à vivre. En évitant de poser des bornes sur ce qui peut être réalisé, vous permettez à l’élève de se découvrir lui-même, d’explorer ses capacités sans se restreindre à ce que l’on pourrait penser être « réalisable » ou « trop difficile ». Chaque tentative devient une étape d’un parcours personnel, où l’objectif est de voir jusqu’où l’on peut aller, sans que personne ne dicte la ligne d’arrivée.

En adoptant cette posture, vous créez une classe où les limites sont floues, où les frontières de ce qui est possible ne sont pas définies d’avance, mais découvertes au fur et à mesure. L’élève apprend à ne pas se restreindre, à ne pas s’auto-limiter par des idées reçues ou des jugements externes. Il découvre que le « Je ne sais pas » n’est pas une fin, mais un début, un point de départ pour explorer ce qui est au-delà des apparences, au-delà de ce qui est déjà connu.

 

4.Créer une atmosphère d’ignorance délibérée

Créer une atmosphère d’ignorance délibérée consiste à introduire des situations où les élèves sont confrontés à des problèmes sans recevoir d’indications préalables, sans qu’on leur dise comment aborder la question, ni quel résultat est attendu. L’idée est de les plonger dans un espace où les repères habituels sont volontairement absents, où la certitude laisse place à l’exploration, et où l’incertitude devient un moteur d’apprentissage.

Prenons un exemple concret : au lieu de commencer une leçon de mathématiques en expliquant la méthode pour résoudre une équation, lancez un défi tel que « Trouvez cinq façons différentes de résoudre ce problème ». Ne leur dites pas si le problème est facile ou difficile. Ne leur indiquez pas s’il existe une seule solution ou plusieurs. Laissez-les découvrir par eux-mêmes les différentes voies possibles, et observez comment ils réagissent lorsqu’ils sont placés en situation de responsabilité totale sur la démarche à suivre.

Cette ignorance délibérée force les élèves à sortir de leur zone de confort. Sans une méthode imposée, ils sont obligés de réfléchir par eux-mêmes, de tester leurs propres idées, d’échouer et de recommencer, tout en développant une compréhension plus profonde du problème. Ce processus, bien que parfois déroutant au début, stimule leur créativité et leur capacité à résoudre des problèmes de manière originale. Ils apprennent à penser de manière critique, à considérer différentes perspectives, et à développer une flexibilité mentale qui sera précieuse bien au-delà de la salle de classe.

En ne fournissant pas de directives claires, vous les amenez à découvrir par eux-mêmes le degré de difficulté du problème. Certains élèves pourraient trouver une solution immédiate, d’autres pourraient tâtonner plus longtemps. Mais c’est précisément cette diversité de réactions et d’approches qui rend l’exercice riche et formateur. Les élèves ne sont pas seulement en train d’apprendre une nouvelle technique ; ils découvrent comment aborder l’inconnu, comment gérer l’incertitude, et comment transformer le doute en un espace de possibilité.

 

Chaque élève est capable de franchir ses propres « 6 mètres ». Mais pour qu’ils y parviennent, il est crucial de leur montrer que les murs qu’ils voient ne sont souvent que des illusions. L’inconnu n’est pas à craindre, mais à embrasser. En tant qu’enseignant, le plus grand cadeau que l’on puisse offrir à un élève, c’est de lui apprendre à ne pas se poser de limites avant même d’avoir essayé.

 

 

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