Dernière modification de l’article le 16 septembre 2016 par Admin
A la lecture du mot « téléphone », une sonnerie retentit dans le cerveau. C’est ce qu’ont démontré, peu ou prou, les chercheurs de l’Université d’Ulm autour du psychologue Markus Kiefer
Selon les scientifiques, le cerveau recrée le sens d’un objet, d’un terme, d’une notion en reproduisant la perception sensorielle à laquelle le mot se rapporte. D’après Markus Kiefer: « S’il n’existe pas d’association entre une notion et la perception sensorielle qu’elle évoque, que cette association n’a jamais été apprise, alors la compréhension de cette notion reste vague ». Les découvertes des chercheurs d’Ulm sont de première importance, non seulement pour les parents, les éducateurs et les pédagogues qui sont tous les jours amenés à suivre les enfants dans leur apprentissage, mais elles concernent un public encore plus large car elles ont trait à des thématiques aussi majeures que l’apprentissage, le savoir, la mémoire et le langage. Les résultats de leur étude ont été publiés dans la revue scientifique, Journal of Neuroscience [1].
Les mots ont-ils un écho intérieur qui leur est propre? La plupart des personnes sont capables, sans devoir réfléchir, de comprendre la signification des mots comme téléphone, tondeuse ou encore aspirateur. Derrière cette opération quotidienne simplissime se cache en réalité un traitement complexe de la part du cerveau, que les chercheurs commencent seulement à pouvoir décoder. D’après Kiefer, les mots et les notions auxquelles ils se rattachent sont véritablement ancrés dans le système sensoriel humain, les mots ne sont pas abstraits comme il a longtemps été prôné et comme certains l’affirment encore aujourd’hui.
Les chercheurs ont observé, par IRM fonctionnelle [2], l’activité cérébrale de sujets en train de lire. Ce faisant, les scientifiques ont pu démontrer qu’à la lecture de mots impliquant un bruit caractéristique, comme téléphone par exemple, certaines zones du cerveau s’activaient. Il s’avère, par ailleurs, que certaines de ces régions cérébrales sont également stimulées à l’écoute du son émis par l’objet étudié (par exemple : une sonnerie de téléphone). L’étude indique, en revanche, que la lecture de mots auxquels n’est associé aucun son/bruit spécifique n’entraîne pas de hausse de l’activité cérébrale dans ces zones. Kiefer et ses collègues de l’Université d’Ulm ont, de cette manière, prouvé que le traitement des notions reçues à travers la lecture consistait, au niveau du cerveau, en un rétablissement partiel de l’activité cérébrale observée au moment où l’objet et/ou l’action auxquels la notion se réfère sont perçus sensoriellement. Ceci se produit, selon les scientifiques, 150 millisecondes après avoir vu le mot, c’est-à-dire avant même que la conscience du concept lié à ce mot n’ait pu être traitée. De plus, l’activité des aires cérébrales spécifiques à la perception sensorielle est d’autant plus élevée que le sujet associe au mot un bruit/son significatif.
« Depuis des siècles, les philosophes spéculent, sans pouvoir tomber d’accord, sur la nature des mots. Certains d’entre eux ont pour théorie que ce qui n’a pu être perçu ne peut être compris. Nous pouvons aller plus loin : ce qui est en mesure d’être vu, entendu, senti, goûté, laisse des traces durables dans la mémoire, traces qui donnent la signification d’un mot, d’une notion. », commente Kiefer. Il est clair que l’homme ne peut être constamment conscient de ces associations : la planification et la réalisation d’actions se basent aussi sur la perception véritable de l’environnement dans lequel l’homme évolue, et non pas seulement sur des représentations mentales qui se produiraient dans sa tête.
L’étude met l’accent sur le rôle central de l’expérience sensorielle dans l’acquisition de concepts et de notions. Comme la compréhension de ces notions est étroitement liée aux perceptions sensorielles, il est donc préférable que les enfants aient, pour saisir un terme, le plus grand nombre d’interactions sensorielles possible avec leur environnement, recommande le psychologue qui soutient : « Lorsqu’au cours de l’apprentissage, il n’y a pas eu, pour l’enfant, la possibilité de voir, de toucher, de sentir un objet, la compréhension du mot qui s’y rapporte s’en trouve alors forcément appauvrie. Le savoir de l’enfant sur l’environnement qui l’entoure est alors dénué de sens ». Cette conclusion revêt une importance majeure sachant qu’aujourd’hui toujours plus d’enfants n’ont souvent, pour certains mots d’usage quotidien, comme les fleurs ou les animaux, que des images de livres ou télévisées en guise de références et comme seule aide à l’apprentissage. Cette déficience d’ordre sensoriel empêche donc ces enfants de développer une connaissance approfondie et certaines relations essentielles quant à leur environnement.
Les recherches poursuivies à l’Université d’Ulm pour cette étude ne concernaient que des objets « réels ». Markus Kiefer juge néanmoins que des concepts abstraits tels que la liberté ou l’égalité devraient, eux aussi, être construits autour d’une perception sensorielle, et ce, afin d’assurer une compréhension plus forte du sens de ces termes. Selon Kiefer, la crise financière qui frappe actuellement l’économie mondiale est un autre exemple des conséquences sociétales graves liées à une insuffisante compréhension de certains termes abstraits : « Les directeurs des grandes institutions bancaires ne disposent d’aucune notion adéquate en ce qui concerne leurs complexes produits financiers. Un warrant (ou bon d’option) n’est pour la bourse qu’une feuille de papier dont la signification pour les marchés financiers, réels quant à eux, n’est pas entièrement saisie. » Aucune alarme cérébrale n’est déclenchée s’il y a une trop forte divergence entre la valeur réelle de l’objet et son caractère symbolique. Kiefer conclut en citant le philosophe chinois Confucius qui déclarait il y a 2500 ans : « Qui ne connaît la valeur des mots ne saura connaître les hommes. Lorsque les mots perdent leur sens, les hommes perdent leur liberté. » D’après le psychologue d’Ulm, cette déclaration est, 2500 ans plus tard, plus actuelle que jamais.
Texte: Julien Sialelli Source: Université d’Ulm
– [1] Publication dans le Journal of Neuroscience le 19/11/2008 : Vol28(47), S. 12224-12230
– [2] page internet expliquant l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle : http://www.e-mri.org/fr/irm-fonctionnelle-cerebrale/introduction.html
Origine:Ambassade de France en Allemagne / ADIT – http://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56860.htm